Opinion

En Haïti le Fonds national de l’éducation, haut-lieu de la corruption

today3 janvier 2025 74

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Par Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue

Funambulisme – « Mot dérivé de funambule, avec le suffixe -isme. Art du cirque, danseurs et acrobates marchant sur une corde tendue et pouvant s’aider d’un balancier ».

Funambule – « Acrobate qui évolue sur une corde tendue à une certaine hauteur » (OrtoLang, Centre national de ressources textuelles et lexicales, CNRS, France).

Le Fonds national de l’éducation (FNE), haut-lieu de la corruption et du népotisme dans le système éducatif haïtien, mène depuis peu une nouvelle campagne sur les ondes de plusieurs stations radio de Port-au-Prince et d’ailleurs. De l’avis de certains observateurs, cette nouvelle campagne se distingue par son amplitude nationale et par l’insistante mention de l’étendue des soi-disant domaines d’intervention du FNE dans le secteur de l’éducation en Haïti où sont scolarisés plus de 3 millions d’enfants. L’on observe que cette nouvelle campagne du FNE se déploie à l’aune d’une explicite et intrépide affabulation dont l’objectif est : (1) de tenter une fois de plus d’obtenir la confiance du public quant à l’action du FNE en général et suite à la perquisition effectuée dans ses locaux le 4 juin 2024 par l’Unité de lutte contre la corruption ; (2) de tenter encore une fois de justifier la légitimité de l’action du Fonds national de l’éducation : cette justification est d’autant plus nécessaire que la direction du Conseil d’administration du FNE est assurée, selon la loi, par le ministre en titre de l’Éducation nationale ; et (3) de faire le plaidoyer du rôle du FNE comme principale sinon exclusive institution haïtienne de financement du système éducatif national.

Le présent article fait la démonstration, références documentaires à l’appui, que la bavardeuse et insidieuse campagne du Fonds national de l’éducation –une véritable « opération poudre aux yeux »–, relève de la propagande politique. Elle a été lancée dans le but de faire diversion, de détourner l’attention du public, des directeurs d’écoles et des associations d’enseignants à la suite de la perquisition effectuée le 4 juin 2024 dans ses locaux par l’Unité de lutte contre la corruption, l’ULCC. Celle-ci, qui a reçu plusieurs plaintes, est en train de parachever le dossier des malversations et du népotisme qui ont cours depuis plusieurs années au FNE et qui ont été couvertes par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste et sa « vedette médiatique », l’ex-ministre de l’Éducation nationale Nesmy Manigat, ainsi que par l’ancien Premier ministre PHTKiste Joseph Jouthe. L’on observe que Jean Ronald Joseph, l’actuel Directeur PHTKiste du Fonds national de l’éducation, aura certainement à répondre par-devant la Justice haïtienne des nombreuses malversations financières commises en toute impunité dans son fief : il devra entre autres expliquer pourquoi son « expertise » présumée de gestionnaire « hors pair » coûte à l’État haïtien la rondelette somme de… 650 000 Gourdes par mois. Car le salaire mensuel de Jean Ronald Joseph, de l’ordre de 650 000 Gourdes par mois, n’apparaît dans aucun audit financier du Fonds national de l’éducation : cette institution nationale, de 2017 à 2024, n’a publié aucun audit comptable relatif aux sommes qu’elle a perçues et dépensées (voir notre article « La corruption au FNE en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 », Rezonòdwès, 22 juin 2024). Jean Ronald Joseph, répondant à l’« ordre de mission » émis par le PHTK néo-duvaliériste, essaie de court-circuiter l’action intentée récemment par le nouveau ministre de l’Éducation nationale Augustin Antoine qui a formellement demandé à la Cour supérieure des comptes d’effectuer avec diligence un audit administratif et financier des neuf organismes placés selon la loi sous la tutelle du ministère de l’Éducation. Le Fonds national de l’éducation est l’un de ces organismes et Jean Ronald Joseph, qui n’a publié aucun rapport d’audit administratif et financier depuis que le PHTK l’a placé en décembre 2021 à la direction du FNE, se livre à une pavlovienne campagne de propagande, croyant pouvoir ainsi échapper au diagnostic à venir de la Cour supérieure des comptes et se mettre en toute impunité à l’abri de la Justice (voir notre article « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti / Le ministre Augustin Antoine dépose une demande d’audit financier et administratif à la CSCCA », Madinin’Art, 16 octobre 2024). Au chapitre de l’impunité, il y a lieu de préciser que les deux « missionnaires stratèges » du PHTK néo-macoute Joseph Jouthe et Nesmy Manigat n’ont pas obtenu « décharge », de la Cour supérieure des comptes, de leurs responsabilités régaliennes aux postes respectifs de Premier ministre et de ministre de l’Éducation. En conséquence, toutes les actions qu’ils ont posées durant leurs mandatures sont réputées être inconstitutionnelles et illégales… Cette « lecture constitutionnaliste » des actions menées par les différents Exécutifs haïtiens depuis 2015 –date à laquelle le Parlement haïtien a été mis hors-circuit par le cartel du PHTK néo-duvaliériste–, est partagée par les différents juristes que nous avons interrogés ces derniers mois : Haïti vit depuis 2015 sous un « régime d’exception » dans lequel la Constitution de 1987 est systématiquement violée et reléguée dans l’espace clos de la prison de la mémoire (voir l’article « Haïti : une démocratie sans élections ni institutions ? », par Nicolás Pedro Falomir Lockhart, Centre d’études interaméricaines / Institut québécois des hautes études internationales / Université Laval et Observatoire des Amériques, Université du Québec à Montréal, février 2015). NOTE – En ce qui a trait au rôle de Joseph Jouthe dans le mécanisme politico-administratif d’invisibilisation de la corruption dans le système éducatif national, voir notre article « Haïti : la corruption au Fonds national de l’éducation : ce que nous enseigne le saint-Évangile de la transparence politique de Joseph Jouthe, ex-Premier ministre d’Haïti », Madinin’Art, 26 septembre 2024).

Pour mémoire, il est utile de rappeler que le « FNE est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle du ministère chargé de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle et créé́ par la Loi du 17 août 2017 parue au Moniteur n° 30 du 22 septembre 2017. Il a pour mission de « participer à l’effort de l’éducation pour tous de la République d’Haïti et de gérer les fonds destinés au financement, tant au niveau de l’État qu’au niveau des Collectivités territoriales, des dépenses relatives à l’éducation, notamment des couts de scolarité au profit des écoliers haïtiens, des projets et études susceptibles de contribuer à l’avancement de l’instruction des enfants et, enfin de la construction ou l’amélioration des infrastructures scolaires du pays » (source : site officiel du FNE, « Jean Ronald Joseph prend ses fonctions de Directeur général du FNE », 20 décembre 2021). NOTE – Sur la corruption systémique dans le système éducatif haïtien, voir notre article « L’expansion de la corruption dans le système éducatif haïtien légitimée par la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste Nesmy Manigat » (Médiapart, Paris, 13 août 2024)

Avant d’examiner les grandes avenues de la corruption systémique solidement implantée au Fonds national de l’éducation, il est nécessaire de fournir un bref éclairage sur la presse écrite et audio d’Haïti au regard de l’instrumentalisation de certains secteurs de la presse haïtienne par les pouvoirs politiques et économiques et par plusieurs organisations politiques. Cet bref éclairage informatif permettra de mieux situer et de comprendre adéquatement la propagande affabulatoire du PHTK néo-duvaliériste dans le secteur de l’éducation en Haïti et de mettre en perspective le rôle des « intellectuels serviles » missionnés par le PHTK néo-duvaliériste dans le champ éducatif en Haïti (sur les « intellectuels serviles », voir l’article de Robert Berrouët-Oriol, « Le rôle des « intellectuels serviles » dans l’arsenal idéologique érigé par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste », Fondas kreyòl, 27 novembre 2024).

Une presse en constante évolution et impactée par les caractéristiques nouvelles du champ informatif

En Haïti la presse écrite et audiovisuelle, ces dernières décennies, a beaucoup évolué à l’instar de celle de nombreux pays, et elle s’est considérablement diversifiée depuis la défaite du nazillon Jean-Claude Duvalier en 1986. Sur le plan qualitatif comme sur celui des structures de diffusion de l’information, l’offre audiovisuelle et celle de la presse écrite en matière de contenu de l’information s’est transformée avec l’arrivée d’Internet et des plateformes audio accessibles en ligne. Et en lien avec les progrès technologiques qui ont marqué la fin du XXème siècle et le début du XXIème siècle, le paysage audiovisuel a connu, à l’échelle internationale, un autre virage important dès l’apparition des réseaux sociaux qui ont amplement contribué à la modélisation des échanges ciblés. En Haïti et ailleurs dans le monde, l’information en accès direct a également pris la configuration de l’instantané, de l’immédiateté, de l’objet « consommable-jetable » et l’usager lambda, muni de son téléphone portable, se transforme l’espace d’un cillement en « reporter » filmant et commentant à chaud les événements auxquels il assiste. Le téléphone intelligent est lui-même devenu un « outil archivistique » dans lequel les « instantanés de la communication » sont conservés et diffusés en différé. L’usager-récepteur d’autrefois joue désormais le rôle d’usager-émetteur, les rôles se trouvant dès lors interchangeables dans le grand marché de l’information en continu. Pareille inversion des rôles et de la configuration du « marché informel » mais hyperconnecté et moderne de l’information en continu a d’évidence des effets sur la qualité et la fiabilité des flux informationnels. Mieux : elle se déploie dans un espace-Monde à la fois diffus, massif et planétaire, celui du flux informationnel que ne contrôlent pas les « grandes surfaces » de la communication grand public du type CNN, EuroNews et Al Jazzera. Mais ce flux informationnel ne génère pas de profits financiers institutionnels puisqu’il se déploie dans un espace privé et individualisé de mise en circuit de l’information là où l’usager-récepteur d’autrefois joue désormais le rôle d’usager-émetteur : il faut aujourd’hui prendre toute la mesure que dans cette nouvelle configuration des transactions communicationnelles à la fois individualisées et massives sur Instagram, Tik Tok, Telegram et Facebook/Meta, l’information véhiculée se meut également dans des « zones grises ». Celles-ci ne sont pas encore soumises à de véritables mécanismes transnationaux de modération : plusieurs institutions, à l’échelle internationale, plaident pour la mise en application de mécanismes efficaces de contrôle des contenus en temps réel et pour la mise en route de « filtres éthiques », et l’on mesure de plus en plus que la désinformation et les campagnes haineuses s’incrustent tout naturellement dans l’espace informel des « zones grises » de l’information grand public.

« La zone grise peut être définie comme un espace d’incertitude et d’ambiguïté, où les frontières entre le bien et le mal, le légal et l’illégal, le moral et l’immoral deviennent floues. C’est un terrain intermédiaire où les règles habituelles ne s’appliquent pas ou sont en cours de redéfinition. Cette notion est particulièrement pertinente dans des contextes où les normes sociales, les lois et les valeurs évoluent rapidement ou sont mises à l’épreuve. Le terme « zone grise » trouve ses origines dans le jargon militaire et stratégique, où il désigne des situations où les actions des acteurs ne peuvent être clairement classées comme bonnes ou mauvaises. Dans ce contexte, la zone grise peut impliquer des opérations clandestines, des tactiques de guerre non conventionnelles ou des actions qui échappent à la surveillance des autorités. Progressivement, le terme a été adopté dans d’autres domaines, notamment en sociologie, en psychologie et en droit, pour décrire des situations complexes où les normes habituelles sont inapplicables » (UMVIE, « Comprendre la zone grise : enjeux et implications », 20 novembre 2024).

Maître de conférences-​HDR à l’université Sorbonne nouvelle, Patrick Dieuaide propose une définition plus englobante et transversale de la notion de « zone grise » : « Les zones grises sont des espaces ouverts et ambivalents, à la fois le signe et le produit d’une défaillance des États, et l’émanation de systèmes locaux peuplés d’acteurs qui interagissent entre eux dans des contextes sociohistoriques déterminés. Elles portent en elles une dimension géopolitique irréductible qui se manifeste par des jeux de pouvoir, des alliances ou des conflits d’intérêts dans une lutte pour le contrôle ou la conquête de positions ou de ressources présentes sur un territoire ou un espace donnés » (Patrick Dieuaide, « La notion de « zone grise » : sens et enjeux pour une analyse du salariat à l’ère du numérique » paru dans « Les travailleurs des plateformes numériques / Regards interdisciplinaires », Rodrigo Carelli, Patrick Cingolani et Donna Kesselman (éditeurs), Buenos Aires, Teseo, 2022).

Le linguiste Noam Chomsky a tôt perçu l’amplitude de ces phénomènes lorsqu’il a étudié les rapports entre propagande, médias et démocratie. Ainsi, « Nous pourrions nous croire à l’âge d’or de l’information. Quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, un clic ouvre le téléviseur et nous sommes transportés au Kosovo, en Turquie ou en Tchétchénie. Nous vibrons de compassion ou d’horreur devant les événements que vivent des hommes, des femmes et des enfants dont le plus souvent nous ne savons rien et qui habitent à des milliers de kilomètres de nous. Quelle époque extraordinaire ! Nous ne sommes plus confinés à quelques canaux locaux, nous savons ce qui se passe dans le monde et nous vivons l’Histoire en direct ! » (Noam Chomsky & Robert McChesney, « Propagande, médias et démocratie », Éditions Écosociété, 2000).

Les « grandes surfaces » de l’information instantanée, les « zones grises » et l’« information/propagande »

L’on observe qu’un grand nombre de personnes et de nombreux jeunes créent, en Haïti et ailleurs dans le monde, leurs propres plateformes, sur YouTube notamment, tandis que de nombreux « consommateurs » de l’information grand public accèdent aujourd’hui à l’information quotidienne encapsulée sur Instagram, Facebook/Méta, Tik Tok, etc. Au fil des ans, les « grandes surfaces » de l’information instantanée –sur le modèle d’un capitalisme à la Walmart aussi prédateur qu’influenceur et souvent complaisant au chapitre de la désinformation et du lavage de cerveau–, ont quasiment surpassé sinon détrôné les traditionnels conglomérats de la presse écrite et audiovisuelle. Ces « grandes surfaces » de l’information instantanée sont devenues, selon certains analystes, une pieuvre à multiples têtes, une bavardeuse Tour de Babel et une espèce de grand bazar des « pulsions informationnelles » habilement commercialisées et rondement rentabilisées au plan financier. Chemin faisant, elles ont également donné naissance à des pratiques journalistiques souventes fois en contravention avec la loi et l’éthique journalistique. Les « grandes surfaces » de l’information instantanée ont même généré la survenue de divers prototypes d’« influenceurs », un nouveau métier dans l’épaisse forêt amazonienne du « divertissement informationnel » où les carrières sont tantôt fulgurantes et lucratives, tantôt enfermées dans des pratiques informationnelles en « zones grises » où tous les coups semblent permis en toute impunité. Un mortifère « modèle » de l’information grand public s’est spécialisé dans la désinformation ciblée et dans l’« information/propagande » à outrance qui secrète et déverse chaque jour son lot de « produits informationnels » toxiques. L’archétype de ce mortifère « modèle » est celui créé par le raciste et misogyne Donald Trump, le « Truth Social », qui franchit aussi bien les lignes rouges de l’affabulation mensongère que les « zones grises » de l’information. Lourdement prédicateur évangéliste et profondément réactionnaire, le fascisant « Truth Social » de Donald Trump, auquel Goebbels et Hitler auraient applaudi de leur vivant, ne s’embarrasse même pas des critères habituels d’une information de qualité, vérifiable et crédible.  

Dans le périmètre immédiat des « zones grises » se promènent des bataillons d’« experts » en ceci-cela, de nouveaux croisés prêchant en novlangue les lucratives et improbables recettes d’un « bien-être existentiel » aussi séduisant, fumeux qu’inaccessible, ainsi que des « philosophes » myopes en perpétuel renouvellement de carrière… C’est le domaine pavlovien de prédilection sur la scène encombrée du paraître où l’on existe parce que l’on est « vu » et « liké » partout sur la planète protéiforme des « alias ». L’existentialisme de Søren Kierkegaard, de Maurice Merleau-Ponty et de Jean-Paul Sartre figure désormais au rayon empoussiéré des OVNI. Aujourd’hui, au supermarché de l’accessoire et du décoratif kitsch, seul a droit de cité la « sectologie », la nouvelle religion fondamentaliste et informelle de l’addictologie soft dans laquelle se déploie le nombrilisme le plus décomplexé, où l’égocentrique se dispute l’irrationnel et le culte immodéré et multifacette des « zones grises ». Aujourd’hui, le « champ informationnel », qui emprunte souvent les larges autoroutes de l’« information-divertissement », se donne à voir tel un champ de bataille où s’agglutinent les médias traditionnels, les « grandes surfaces » de l’information instantanée et les médias sociaux aux prises avec les « zones grises ». Sur ces registres, l’on observe que l’une des caractéristiques majeures des « zones grises » –en Haïti comme ailleurs–, est précisément l’art de flirter avec les interdits, un art iconoclaste de la transgression où se télescopent l’éthique journalistique sinon l’éthique tout court.

Il faudra sans doute un jour prochain que des sociologues, des anthropologues, des politologues et les associations professionnelles de journalistes mènent des enquêtes de terrain approfondies sur l’archéologie des « zones grises » dans la presse audiovisuelle et écrite en Haïti, car ces « zones grises » ont pris racine au pays de Jacques Roche et de Montferrier Dorval : ces douze dernières années, elles se sont modélisées tout en se banalisant, dans le droit fil de la démantibulation des institutions de l’État sous les assauts répétés du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. Et ces « zones grises » se sont « métastasées » au creux de la gangstérisation/criminalisation de l’État haïtien activement mise en œuvre par les autoproclamés « bandits légaux » du PHTK néo-duvaliériste. (NOTE — Sur la gangstérisation/criminalisation de l’État haïtien, voir l’étude de Frédéric Thomas « Haïti : la gangstérisation de l’état se poursuit », Cetri, Université de Louvain, 7 juillet 2022 ; sur les auto-proclamés « bandits légaux » du PHTK, voir l’article de Rorome Chantal de l’Université de Moncton, « L’ONU, le PHTK et la criminalité en Haïti », AlterPresse, 25 juillet 2022 ; voir aussi l’article de Laënnec Hurbon, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti », Médiapart, 28 juin 2020 ; voir « Haïti dans tous ses états » : halte à la duvaliérisation des esprits ! », par Arnousse Beaulière, AlterPresse, 19 février 2020 ; voir également l’entrevue de Jhon Picard Byron, enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti, « Gangs et pouvoir en Haïti, histoire d’une liaison dangereuse », Radio France internationale, 23 septembre 2022. Lire aussi « L’« État de dealers » guerroyant contre contre l’« État de droit » en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol, Médiapart, Paris, 18 janvier 2024.)

Au fil des ans la presse haïtienne a traversé des intempéries majeures, des journalistes courageux et compétents ont payé de leur vie leur détermination à vouloir informer le public de manière professionnelle, contribuant à leur échelle au combat citoyen pour l’édification d’un État de droit en Haïti. L’époque des combats citoyens contre la dictature sanglante et kleptocrate des Duvalier semble lointaine, mais nos aînés ont gardé un vif souvenir du travail de qualité effectué par des journalistes compétents et incorruptibles qui ont défendu avec hauteur de vue et de manière rassembleuse l’idée que la presse devait faire sien les combat de la Nouvelle Indépendance, notamment celui de la lutte pour les droits citoyens et celui ciblant l’aménagement du créole en conformité avec les articles 5 et 40 de la Constitution de 1987. Ces travailleurs de la presse ont œuvré, tels des éclaireurs porteurs de lumière et d’espoir, à Radio Soleil et Radio Haïti inter, entre autres. Et comme toute presse drainant dans différents pays son lot de conquêtes et d’échecs, la presse haïtienne a elle aussi emprunté le chemin tortueux des compromis douteux et de la compromission aveugle avec différents régimes politiques avant 1987 et, plus près de nous, de 1987 à nos jours.

Plusieurs pistes de recherche sur l’archéologie des « zones grises » dans la presse audiovisuelle et écrite en Haïti indiquent qu’elles s’apparient aux caractéristiques de l’État des « bandits légaux » du PHTK néo-macoute que nous avons précédemment évoqués. Et en lien avec le cadre conceptuel proposé par Patrick Dieuaide dans son étude de 2022 ci-haut citée, l’on observe que ces « zones grises » se « métastasent » sur le terrain scabreux des « machann mikro », celui d’un secteur de la presse haïtienne où l’on ne s’embarrasse pas de principes éthiques/déontologiques et où des alliances circonstancielles financièrement rentables sont passées avec de puissants « donneurs d’ordre » (hommes/femmes de partis politiques, industriels et hommes/femmes d’affaires, gangs mafieux haïtiens et sud-américains, etc.). Il est attesté que plusieurs puissants « donneurs d’ordre » ont leurs relais dans la presse haïtienne et que ces relais ont su développer d’ingénieux « stratagèmes soft » et séduisants dans différents contextes de diffusion de l’information. Aujourd’hui, les « zones grises » de la presse audiovisuelle et écrite en Haïti se déploient et s’alimentent de la démantibulation de l’État de droit, de la faillite des régimes politiques antipopulaires qui ont fleuri depuis 1986 ainsi que de la sous-culture d’une partie de la presse haïtienne friande de « partenariats » financièrement rentables avec les « donneurs d’ordre ».

« Machann mikro » et affranchissement de l’éthique et de la déontologie journalistique : la voie scabreuse des compromissions d’une certaine presse haïtienne

Une certaine presse haïtienne, que la malice populaire désigne sous l’appellation narquoise de « machann mikro », occupe « le béton » informationnel dans le droit fil d’une scabreuse tradition, celle du « voye monte » : l’absence de compétence professionnelle et de rigueur éthique autorise de s’affranchir de l’éthique journalistique/déontologique et de s’installer dans les « zones grises » de l’information grand public où les diverses variantes de la compromission politique sont rentabilisées tant au niveau symbolique qu’au niveau de la rentabilité financière… C’est sur ce registre que l’on a constaté le « danse tèt kole » d’une certaine presse accueillant à bras ouverts des duvaliéristes-tonton macoutes en processus de recyclage d’image tels que Prosper Avril, invité d’honneur –plus justement invité du déshonneur—à une récente édition de Livres en folie… L’homme qui murmurait ses « conseils » aux zenglendos de Port-au-Prince, Prosper Avril, s’est vu propulsé sur la scène des « grands » écrivains haïtiens par la grâce sonnante et trébuchante d’une certaine presse port-au-princienne : la romancière Marie Vieux-Chauvet –quittant ponctuellement son repos éternel et la révision de son monumental roman posthume « Les rapaces »–,  a dû se précipiter chez Jacques Lacan et Papa Dessalines pour se faire expliquer les métamorphoses post-duvaliériennes d’un pays qui n’a toujours pas procédé à sa déduvaliérisation… C’est le lieu de rappeler la courageuse prise de position citoyenne contenue dans la pétition intitulée « Pétition : plus de 600 personnalités contre la participation du général Avril comme invité d’honneur à » Livres en folie 2023 » (Rezonòdwès, 16 avril 2023). Dans ce document public il est précisé ce qui suit : « Nous, écrivains, artistes, chercheurs, animateurs de la vie culturelle, lectrices et lecteurs, amoureux du livre, de la culture et de l’art, avons pris la décision de ne participer en aucune façon à Livres en folie dans son édition 2023, à cause du choix de l’ancien général Prosper Avril comme invité d’honneur de cette édition. Les pratiques politiques de l’ancien général Avril n’ont pas fait honneur aux aspirations démocratiques du peuple haïtien. Elles ont même, au temps de la dictature des Duvalier et après, constitué des obstacles aux avancées démocratiques. Et, sans vouloir l’offenser, nous ne lui connaissons pas une œuvre littéraire ni l’écriture d’une pensée qui justifieraient qu’il soit choisi comme invité d’honneur. Que veut-on valoriser ou récompenser ? » Les deux derniers paragraphes de cette courageuse pétition citoyenne, qui a été signée par des opérateurs culturels, des écrivains et artistes ainsi que des maisons d’édition s’énoncent comme suit : « Vu l’importance acquise par l’événement [« Livres en folie »], sans faire le choix partisan d’une idéologie ou d’une esthétique particulière, c’est aussi ce laisser-aller sur le plan éthique qui a conduit notre pays dans la situation difficile qu’il connaît aujourd’hui. Il conviendrait que les choix soient le plus que possible en accord avec les principes basiques de la dignité humaine et en harmonie avec cette ferme volonté du peuple haïtien d’habiter un espace de vie en commun selon les piliers de l’éthique et de la Justice ».

« Nous refusons donc toute participation à cette édition, ni comme producteurs ni comme consommateurs. Et nous demandons à tous, éditeurs, distributeurs, médias, de respecter cette volonté clairement exprimée. En ce moment où certains voudraient que tout soit permis, y compris les violations les plus flagrantes des principes démocratiques et de la justice, il est juste que dans le monde de la culture, de l’art et du livre, nous gardions en mémoire les crimes historiques et que nous donnions l’exemple de la dignité ».

C’est sur ce même registre qu’une certaine presse haïtienne a porté aux nues un mercenaire-tonton macoute dénommé Rony Gilot, lui aussi invité d’honneur –plus justement invité du déshonneur—à Livres en folie du 26 au 27 mai 2016 au Parc historique de la Canne à sucre… Dans un article que nous avons publié sur le site AlterPresse en 2016, « L’alliance Rony Gilot/Jocelerme Privert, un ticket rose pour l’impunité en Haïti », nous avons exposé que « Les milliers de victimes de la dictature duvaliériste –qui attendent encore justice et réparation de l’État haïtien–, ont reçu de plein fouet la nouvelle de l’affligeante nomination en février 2016 de Rony Gilot au poste de Secrétaire général adjoint du Palais national. Cette nomination a été décidée par Jocelerme Privert, le Président provisoire d’Haïti ». Jocelerme Privert n’est pas un inconnu dans le lakou où se bousculent les têtes de liste de la « meute politicienne haïtienne » ainsi que les « intellectuels serviles » : son billet d’avion en aller simple pour le « Paradis de l’impunité » s’est évaporé un funeste jeudi 26 février 2023 : « Comme annoncé par le Premier ministre Justin Trudeau, le jeudi 16 février, en marge de sa participation à une réunion des chefs d’État de la Caricom, deux autres personnes viennent de rejoindre la liste des sanctionnés par le Canada. Il s’agit de l’ancien président Jocelerme Privert et de l’avocat Salim Succar. L’annonce a été publiée sur le site de Affaires mondiales Canada (version anglaise) ce jeudi. Le député fédéral de Bourassa, Emmanuel Dubourg, originaire d’Haïti, a également confirmé la nouvelle. « Il faut aussi écarter du pouvoir les criminels, les corrompus et les oligarques. Le peuple haïtien vaincra », a-t-il commenté sur Twitter » (voir l’article « Jocelerme Privert et Salim Succar sanctionnés par le Canada », Le Nouvelliste, 16 février 2023).

La lucrative alliance du tonton macoute Rony Gilot avec une certaine presse port-au-princienne est fort éclairante. Son examen permettra de bien comprendre les dessous de l’offensive de charme et de mystification propagandiste qu’à récemment mis en scène Jean Ronald Joseph, l’actuel Directeur du Fonds national de l’éducation sur les ondes encombrées et fort complaisantes de la station radio Magik9

L’« historien » révisionniste Rony Gilot est un ancien député-tonton macoute, laudateur de l’« héritage » duvaliériste et auteur de plusieurs ouvrages à la gloire des figures marquantes du duvaliérisme. Ainsi, il est l’auteur entre autres de « François Duvalier le mal-aimé – Au gré de la mémoire » (1989) [2007, 2012], de « Roger Lafontant ou la destinée tragique d’un fauve politique » (2013), de « Jean-Claude Duvalier ou l’ingénuité captive » (2010), de « Jean-Claude Duvalier ou la chance galvanisée » (2011). Il est essentiel de ne pas perdre de vue que Rony Gilot a été le directeur de cabinet d’un Gary Conille qui, éduqué dès son adolescence dans un environnement ouvertement duvaliériste et allié naturel du PHTK néo-duvaliériste, a été propulsé au poste de Premier ministre par Michel Martelly (5 septembre 2011 – 16 mai 2012). Rony Gilot est l’auteur de « Gary Conille ou le passage d’un météorite » (livre édité à compte d’auteur, 2012). Vieux routier du duvaliérisme, Rony Gilot, docteur en médecine et chirurgien, a été député de la circonscription de Thiotte-Grand-Gosier et Anse à Pitre (1973-1986), ministre de la Coordination et de l’information (1978-1979), secrétaire général du parti Action démocratique pour bâtir Haïti (ADEBHA) de 2000 à 2004, consultant au Conseil électoral provisoire (CEP) de 2001à 2004, conseiller politique spécial du président du Sénat de 2001 à 2004, puis en 2006, directeur du cabinet du président de la Chambre des Députés (2006-2011), directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille (2011-2012) ; membre du cabinet du président du Sénat (2012-2014); secrétaire général du Sénat (avril 2014 jusqu’à sa mort) ; en détachement secrétaire général adjoint de la Présidence de février 2016 à février 2017. (NOTE — Sur l’héritage duvaliériste inscrit dans l’ADN du PHTK, voir la série de quatre articles de l’économiste et historien Leslie Péan intitulés « Haiti : gouvernance occulte, gouvernance inculte, gouvernance superficielle », AlterPresse, juin 2014. Leslie Péan est également l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur la problématique de la corruption en Haïti, notamment « Haïti / Économie politique de la corruption – L’ensauvagement macoute et ses conséquences (1957-1990) », tome IV, Éditions Maisonneuve et Larose, 2007 ; voir aussi Pierre Fournier, « Haïti, contextes social, historique, économique et le phénomène de la corruption », Barreau de Montréal, 2016.)

 

Au creux des « zones grises » où se déploie une certaine presse haïtienne volontairement myope et complaisante, les stratégies de communication empruntent diverses formes de « mise en espace » de discours variés aussi faussaires que trompeurs, en particulier lorsqu’il s’agit de « disserter » superficiellement sur le système éducatif haïtien. L’entrevue accordée récemment à la station radio Magik 9 par Jean Ronald Joseph, l’actuel Directeur PHTKiste du Fonds national de l’éducation, mérite que l’on s’y arrête de manière analytique car elle a le mérite d’illustrer les liens quasi consanguins et lourdement néo-tonton macoutiques entre une certaine presse complaisante et racoleuse et de hauts cadres du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. Pour exposer ces liens quasi consanguins de manière objective et fournir au lecteur du présent article un document de première importance, nous reproduisons intégralement la correspondance que nous avons récemment adressée à la direction de la station radio Magik 9.

 

  1. Frantz Duval

Directeur  

Station de radio Magik 9 

Rédacteur en chef du quotidien Le Nouvelliste

Ex-Président de l’Association nationale des médias haïtiens

Port-au-Prince

Haïti

 

OBJET Entrevue du directeur du Fonds national de l’éducation à l’émission « Panèl majik » du 18 décembre 2024. DEMANDE D’UN DROIT DE RÉPONSE.

 

Montréal, le 18 décembre 2024.

 

Cher Monsieur Duval,

 

Familier des émissions de qualité de la station de radio Magik 9, j’ai écouté avec attention l’« entrevue » accordée ce matin au journaliste Jean Junior Célestin par Jean Ronald Joseph, l’actuel Directeur du Fonds national de l’éducation.

 

J’ai à cœur de soumettre à votre vigilance ce qui suit :

 

  1. L’observation attentive des échanges entre Jean Junior Célestin et Jean Ronald Joseph ne relève pas du journalisme d’enquête : il s’agit manifestement d’une séquence publicitaire sans contrepartie critique/analytique et au cours de laquelle les auditeurs ont été exposés aux déclarations de Jean Ronald Joseph sans pouvoir évaluer la véracité de ses assertions.

 

  1. Sur ce registre, le droit des auditeurs à une information de qualité, fiable et vérifiable n’a pas été respecté.

 

  1. Sur ce registre les auditeurs ont été soumis à un complaisant matraquage publicitaire –prémédité ou « par défaut »–, ce qui contrevient à la déontologie de la profession de journaliste.

 

  1. Il est surprenant que la conduite d’un échange avec Jean Ronald Joseph ait été confiée à un journaliste qui manifestement n’a pas préparé son dossier et qui, constat aggravant, ne possède pas de véritable connaissance du complexe dossier de la corruption au Fonds national de l’éducation.

 

  1. Cela éclaire le fait qu’à aucun moment Jean Junior Célestin n’a abordé avec Jean Ronald Joseph la brûlante question de la corruption au Fonds national de l’éducation alors même que le scandale de la corruption et du népotisme au Fonds national de l’éducation est de notoriété publique. 

 

  1. Par la publication de plusieurs articles que Jean Junior Célestin aurait dû consulter avant d’avoir des échanges complaisants avec Jean Ronald Joseph, Le Nouvelliste a lui aussi informé objectivement ses lecteurs au sujet de la corruption et du népotisme au Fonds national de l’éducation.

 

  1. Ainsi, Le Nouvelliste du 4 juin 2024 a publié un excellent article de Roberson Alphonse intitulé « Des enquêteurs de l’ULCC ont perquisitionné le FNE». Dans cet article, Roberson Alphonse informe adéquatement les lecteurs que « Des enquêteurs de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont perquisitionné les locaux du Fonds national de l’éducation (FNE) ce mardi 4 juin 2024 ».

 

  1. En date du 9 octobre 2024, le nouveau ministre de l’Éducation nationale, Augustin Antoine, a officiellement demandé à la Cour supérieure des comptes de mener enquête et de produire un audit administratif et financier pour chacun des neuf organismes placés sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale. Le Fonds national de l’éducation figure parmi les organismes visés par la demande du ministre.

 

  1. De 2011 à 2024, le Fonds national de l’éducation n’a publié aucun état financier éclairant sa gestion administrative et financière alors même que la législation haïtienne l’y oblige.

 

  1. Jean Junior Célestin aurait dû consulter le dossier soumis par le ministre Augustin Antoine avant d’avoir des échanges complaisants avec Jean Ronald Joseph. L’amateurisme et le laxisme ne figurent pas parmi les critères d’excellence de la profession de journaliste et cela devrait constituer un sujet de réflexion approfondie à l’Association nationale des médias haïtiens.

 

  1. La Loi du 17 août 2017(Le Moniteur n° 30, vendredi 22 septembre 2017) consigne que le Fonds national de l’éducation est doté d’une personnalité juridique : « Le Fonds national de l’éducation (FNE) est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle du ministère chargé de l’Éducation nationale. Le FNE jouit de l’autonomie financière et administrative. Il est doté de la personnalité juridique et sa durée est illimitée » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation).

 

Cher Monsieur Duval,

J’ai à cœur de soumettre à votre vigilance que j’ai amplement étudié les différents aspects de la corruption et du népotisme au Fonds national de l’éducation. Aussi je vous invite à lire (ou à relire) les articles que j’ai publiés sur ce sujet :

-1- « La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 » (par Robert Berrouët-Oriol, Rezonòdwès, 5 mai 2024).

-2- « Camouflage de la corruption au Fonds national de l’éducation d’Haïti sous le manteau d’une ritournelle publicitaire » (par Robert Berrouët-Oriol, Madinin’Art, 4 septembre 2024)

 

-3- « La corruption au Fonds national de l’éducation : ce que nous enseigne le saint-Évangile de la transparence politique de Joseph Jouthe, ex-Premier ministre d’Haïti » (par Robert Berrouët-Oriol, Rezonòdwès, 25 septembre 2024).

-4- « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti : le ministre Antoine AUGUSTIN dépose une demande d’audit financier et administratif à la CSCCA » (par Robert Berrouët-Oriol, Rezonòdwès, 15 octobre 2024).

 

Cher Monsieur Duval,

 

Je formule par le présent courriel la DEMANDE D’UN DROIT DE RÉPONSE à l’une des prochaines émissions de « Panèl majik ». Par avance je vous prie de bien vouloir m’indiquer la date et l’heure de cette prochaine émission consacrée à la corruption et au népotisme au Fonds national de l’éducation.

 

Très cordialement,

 

Robert Berrouët-Oriol

Linguiste-terminologue

 

P.S. : La problématique évoquée dans le présent courriel étant d’intérêt public, je prends la liberté de la partager avec plusieurs collègues et institutions.

 

Cette correspondance adressée à la direction de Magik9 a également été acheminée, le 20 décembre 2024, au journaliste Jean Junior Célestin qui a si complaisamment et si aveuglément reçu en entrevue Jean Ronald Joseph, l’actuel Directeur du Fonds national de l’éducation.

 

La correspondance adressée le 18 décembre 2024 à la direction de Magik9 comportait une explicite DEMANDE D’UN DROIT DE RÉPONSE à l’une des prochaines émissions de « Panèl majik ». La direction de Magik9 n’a pas accusé réception de notre correspondance et elle n’a pas non plus donné suite à notre demande de droit de réponse comme c’est l’usage dans les médias professionnels… Dont acte…

 

Dans l’entrelacs des « zones grises » des médias en Haïti dont il a été question au début du présent article, la brûlante et incontournable dimension de l’éthique et de la déontologie du métier de journaliste est posée à tous les étages de l’édifice social. C’est principalement pour être restés fidèles à l’éthique et à la déontologie du métier de journaliste que plusieurs d’entre eux ont payé de leur vie : Gasner Raymond, Jacques Roche, Jean L. Dominique, etc.

 

La scabreuse hospitalité accordée par la radio Magik9 à Jean Ronald Joseph, l’actuel Directeur du Fonds national de l’éducation, invite à la plus rigoureuse interrogation critique sur les plans de l’éthique et de la déontologie. Il serait trop commode et peu éclairant de lancer vite fait une lapidaire « opinion » selon laquelle cette station radio a cédé aux sirènes affabulatoires et combien lucratives du PHTK néo-duvaliériste ou, pire, qu’elle aurait conclu une sorte de « partenariat entre parrains » qui fricotent et dansent « tèt kole / tèt kale » avec les auto-proclamés « bandits légaux » et les « criminels à cravate » du PHTK… L’observation des faits et la réflexion analytique des observateurs les plus avisés de la « faune radiophonique » contemporaine haïtienne permet plutôt de dresser le constat de la « banalité du mal » (en anglais : banality of evil, en allemand : Banalität des Bösen) au sens où l’entend la philosophe Hannah Arendt dans son livre-phare publié en 1963, « Eichmann à Jérusalem – Rapport sur la banalité du mal ». Le « mal » banalisé dans le cas qui nous occupe ici est de l’ordre de la « banalisation de l’oubli », de l’oubli diffus qu’en dépit des conquêtes citoyennes consignées dans la Constitution de 1987 Haïti n’a toujours pas véritablement entrepris sa déduvaliérisation. D’où l’effondrement réitéré des valeurs citoyennes qui ont autrefois « fait pays » et permis le vivre-ensemble régulé par la Loi et les traditions liées au canons éthiques du vivre-ensemble.

 

C’est par l’étude objective de la dynamique de cet écosystème de la déperdition des valeurs modernes de la citoyenneté haïtienne qu’il faut interpréter l’accueil aveugle et la généreuse publicité travestie accordée par la radio Magik9 au Directeur du Fonds national de l’éducation, Jean Ronald Joseph.  Et si par hypothèse il est un jour avéré que cette audacieuse hospitalité a fait l’objet d’une transaction financière donnant-donnant et « anba tab », l’on aura fait le tour d’une mortifère progression dans la « banalité du mal » décrite par la philosophe Hannah Arendt.

 

Dans le déroulé du présent article nous avons mentionné un fait historique avéré : la mémoire de la presse haïtienne a enregistré l’action menée par des journalistes compétents, intègres et incorruptibles. Ils ont pour nom Christian Beaulieu, compagnon de route de Jacques Roumain, ainsi que Jacques Roumain lui-même, Étienne Charlier, Clément Magloire Saint-Aude, Liliane Pierre-Paul, Gasner Raymond, Dany Laferrière, Jacques Roche, Jean Dominique, etc. Parmi les journalistes compétents, intègres et incorruptibles, l’on trouve également Yvonne Hakim de la Ligue féminine d’action sociale et membre de la rédaction de « La voix des femmes ».

 

La mémoire de la presse haïtienne a également enregistré l’apparition des « machann mikro » qui, souvent, se congratulent de recevoir de savoureux « petits chèques » en Gourdes ou en Dollars de tel ministère, homme d’affaires, politicien ou ambassade étrangère donneuse de leçons de « démocratie »… Ils sont, sur les terres torrides de « l’information préformatée », de généreux « donneurs d’ordre » au creux des « zones grises » du champ informationnel haïtien. Les ministères, hommes d’affaires, politiciens ou ambassades étrangères donneuses de leçons de « démocratie » ont tous pris connaissance de la « Note de presse d’un regroupement de 9 institutions haïtiennes des droits humains connu sous l’appellation de « Ensemble contre la corruption » relative à une gouvernance de rupture dans le pays au moment de la mise en place du Conseil présidentiel de transition (CPT) ». La note de presse consigne l’information suivante : « Au moment de l’élaboration de cette note de presse, un scandale financier a éclaté au Fonds national de l’éducation (FNE). ECC [« Ensemble contre la corruption »] s’est entretenu avec l’actuel directeur général de l’institution qui lui a affirmé que le salaire mensuel de 650 000 gourdes qu’il perçoit était en vigueur bien avant son arrivée à la tête du FNE, en décembre 2021. Et la décision d’octroyer des émoluments aussi exorbitants au directeur général du FNE a été validée par le Conseil d’administration, sans considération aucune de la grille des salaires en vigueur dans la fonction publique ». [Les soulignés en gras et italiques sont de RBO]

 

Il faut prendre toute la mesure que le site officiel du Fonds national de l’éducation ne comprend aucun document d’information financière couvrant la période de 2017 à 2024. Il ne fournit aucun document officiel relatif (1) au total des sommes prélevées chaque année sur les appels téléphoniques entrants ; (2) au total des sommes prélevées chaque année sur les transferts d’argent vers Haïti pour la période allant de 2017 à 2024 ; (3) aux états financiers du Fonds national de l’éducation pour la période allant de 2017 à 2024, et (4) aux audits comptables qui auraient éventuellement été réalisés par la Cour supérieure des comptes ou par une firme externe pour la période allant de 2017 à 2024.

 

Malgré ce qui semble relever d’une vieille tradition de l’Administration publique haïtienne de ne pas communiquer de documents administratifs même lorsqu’ils sont d’intérêt public, nous avons eu accès à un document de deux pages ayant pour titre : « Banque de la République d’Haïti. Direction financière – Service contrôle financierRapport mensuel des frais perçus sur les transferts privés internationaux versés au compte du Trésor publicÉtabli du 28 juillet 2011 au 12 septembre 2018 ». Ce document est intéressant à plusieurs titres : il fournit des chiffres précis sur le total des sommes perçues par la Banque de la République d’Haïti pour le compte du Fonds national de l’éducation de 2011 à 2016 et de 2017 à 2018. Le FNE ne dispose d’une existence légale que depuis 2017, avec l’adoption de la Loi du 17 août 2017 : entre 2011 et 2016 le Fonds national de l’éducation fonctionnait dans l’informel au sens où il ne disposait pas encore du statut légal d’une institution d’État. Cela a porté plusieurs institutions à le classer déjà, en 2011, parmi les instances opaques de l’Administration publique haïtienne qui amassent illégalement des sommes d’argent au montant indéterminé et qui ne sont pas consignées dans le Budget national, ce qui les soustrait au contrôle du Parlement. Avec l’adoption de la Loi du 17 août 2017, le Fonds national de l’éducation possède un cadre légal de fonctionnement, un conseil d’administration, un personnel administratif et des règlements internes, des objectifs, des droits et des obligations. Les tableaux 1 et 2 ci-après sont une indication du total des sommes perçues sur les transferts privés internationaux par le CONATEL pour la Banque de la République d’Haïti entre 2011 et 2016 et de 2017 à 2018 qui les dirige par la suite vers le Trésor public. Les tableaux 1 et 2 ne prennent pas en compte les sommes prélevées sur les appels téléphoniques en provenance de l’étranger car la recherche documentaire que nous avons menée pour rédiger le présent article ne nous a pas permis d’avoir accès à des documents décrivant les opérations de retenue sur les appels téléphoniques.

 

TABLEAU 1 – Total des sommes investies dans les « Axes d’intervention majeurs » du Fonds national de l’éducation selon les déclarations de son directeur général (2019-2024) + Ventilation des frais administratifs annuels

 

5 ANS (2019-2024) GOURDES DOLLAR US MOY/ 5 ANS
GDES $ $ US
PROGRAMME SPÉCIAL DE GRATUITÉ DE L’ÉDUCATION 3 147 598 122 23 607 576 4 721 515
RÉNOVATION DES INFRASTRUCTURES 2 775 914 120 20 819 876 4 163 975
MOBILIERS SCOLAIRES 525 715 000 3 942 961 788 592
CANTINE SCOLAIRE 255 666 422 1 917 546 383 509
UNIVERSITÉS/ RECH. 30 000 000 225 006 45 001
UNIV./BOURSES (1500) 285 500 000 sur 5 ans 2 141 304 428 261
SUBVENTIONS (229) 133 157 717 998 708 199 742
TOTAL 7 153 551 381 652 977 730 595
PAR BOURSE (1500 bo.)   190 333 1 428 286 *
PAR ÉTUDIANT (229 ét.) 581 475 4 361 872 *
Taux de conversion : 133 GDES/ 1 $ US. || L’astérisque * renvoie à une moyenne annuelle.
FRAIS ADMINISTRATIFS ANNUELS
SALAIRE DU DG 7 800 000 58 501
BUREAU  (7 pers.) 24 000 000 180 005
CABINET (17 pers.) 49 000 000 367 509
TOTAL 80 800 000 606 015

 

Source 1 : Déclaration du directeur général du FNE, point de presse du 31 janvier 2024, site officiel du Fonds national de l’éducation ; Source 2 :  Hebdo 24, 1er avril 2024.

 

TABLEAU 2 – Fonds national de l’éducation / Banque de la République d’Haïti : frais perçus sur les transferts privés internationaux / 2011-2018

 

NOMBRE DE TRANSFERTS FRAIS PERÇUS de 1,50 $ en milliers de dollars US
JUILLET 2011-JUIN 2012 7 431 11 146
JUILLET 2012-JUIN 2013 8 313 12 469
JUILLET 2013-JUIN 2014 8 745 13 117
JUILLET 2014-JUIN 2015 10 927 16 392
JUILLET 2015-JUIN 2016 12 198 18 297
JUILLET 2016-JUIN 2017 13 451 20 176
JUILLET 2017-JUIN 2018 16 062 24 093
TOTAL 77 127 115 690

 

Source : Banque de la République d’Haïti. Direction financière – Service contrôle financier. Rapport mensuel des frais perçus sur les transferts privés internationaux versés au compte du Trésor public. Établi du 28 juillet 2011 au 12 septembre 2018.  

 

Commentaire analytique – Le tableau 1 fournit un éclairage fort instructif sur le total des sommes investies dans les « Axes d’intervention majeurs » du Fonds national de l’éducation selon les déclarations de son Directeur général. Ces données déclaratives exposées par le directeur général du FNÉ, durant son point de presse le 31 janvier 2024, n’étaient pas accompagnées du moindre document officiel attestant leur véracité : ce constat est de première importance car toutes les recherches documentaires que nous avons menées, y compris sur le site officiel du Fonds national de l’éducation, n’ont pas permis de retracer les états financiers et encore moins les rapports d’audit comptable du FNE. Comme nous le verrons plus loin dans le déroulé de cet article en examinant la « chaîne de camouflage » à l’œuvre au FNE, nous sommes en présence d’un système de gestion financière opaque qui n’offre pas les instruments de compréhension des dépenses publiques qu’un organisme public prétend avoir effectuées pour remplir la mission de service public que lui confère la Loi du 17 août 2017. Les déclarations du directeur général du Fonds national de l’éducation ne permettent pas non plus de savoir, en référence à des documents officiels consultables, si l’institution a effectivement rempli sa mission, si les sommes injectées dans des programmes et des activités ont été dépensées avec rigueur, ou encore si des instances indépendantes ont émis des rapports de conformité à propos de telle ou telle réalisation. Par exemple, le Directeur général du Fonds national de l’éducation a déclaré que son institution aurait investi la monumentale somme de 2 775 914 120 Gourdes sur 5 ans –soit 20 819 876 $ US— dans la rénovation des infrastructures scolaires. Il aurait été utile de fournir des documents énumérant le nombre d’infrastructures scolaires rénovées, leur localisation géographique, le nombre d’élèves ayant bénéficié de ces rénovations ainsi que les rapports techniques émis par des firmes d’ingénierie attestant le respect de la conformité aux normes sismiques. Il aurait également été utile de savoir si un appel d’offres a été émis en vue du choix des firmes ayant réalisé la rénovation des infrastructures scolaires ainsi que les qualifications de ces firmes. Il aurait tout autant été utile de savoir si l’attribution des contrats à ces firmes a été effectuée de gré à gré, ce qui habituellement ouvre la porte au favoritisme et à diverses formes de malversation. Il en est de même des sommes injectées dans les cantines scolaires : combien d’élèves ce programme que l’on dit d’envergure nationale a-t-il permis de rejoindre ? A-t-il donné la priorité aux produits locaux de proximité et permis l’embauche d’une main-d’œuvre locale ? Et sur quels critères le FNE s’est-il basé pour attribuer 1 500 bourses scolaires de l’ordre de 286 $ en moyenne annualisée sur 5 ans (190 333 Gourdes1 428 $ US) ? Dans un pays qui compte environ 3 millions d’enfants en cours de scolarisation, comment expliquer que le FNE n’ait accordé que 286 $ en moyenne annualisée pour 1 500 bourses scolaires au modeste montant de 190 333 Gourdes (1 428 $ US) ?  En référence au scandale des détournements de fonds au PSUGO –programme lui aussi créé par le PHTK néoduvaliériste mais dénoncé par les enseignants et vilipendé dans un premier temps par l’ex-ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat qui, dans un second temps, l’a reconduit dès son retour à la direction du ministère de l’Éducation nationale en novembre 2022–, quelles sont les données vérifiables relatives à ces 1 500 bourses scolaires ? S’agit-il de bourses scolaires zonbi, comme il y a eu en quantité industrielle au PSUGO, s’agit-il d’écoles zonbi, de directeurs d’écoles zonbi, de professeurs zonbi et des chèques zonbi ? (NOTE – Sur la vaste entreprise de détournement de fonds qu’est le PSUGO, voir notre article « Le système éducatif à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO », journal Le National, Port-au-Prince, 24 mars 2022 ; voir également les articles « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (parties I, II et III) – Un processus d’affaiblissement du système éducatif », Ayiti kale je (Akj), AlterPresse, 16 juillet 2014. Voir aussi sur le même site, « Le PSUGO, une catastrophe programmée » (parties I à IV), 4 août 2016. Voir enfin l’article fort bien documenté « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », par Charles Tardieu, Port-au-Prince, 30 juin 2016). Dans notre article du 24 mars 2022 publié en Haïti dans le journal Le National, Le système éducatif à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO, nous avons mentionné les liens qui existent entre le PSUGO et le Fonds national de l’éducation comme suit : « Selon un rapport du ministère de l’Éducation acheminé le 22 décembre 2014 au journal Le Nouvelliste et qui présente, semble-t-il, « le bilan annuel des deux (…) exercices 2011-2012 et 2012-2013, le PSUGO est financé essentiellement grâce au Fonds national pour l’éducation (FNE), à hauteur de 1,9 milliard de gourdes, et du Trésor public, à hauteur de 800 millions de gourdes, pour un total de 2,7 milliards de gourdes ». Il est fort révélateur que deux institutions majeures du système éducatif national haïtien, le FNE et le PSUGO, soient pareillement et pour les mêmes motifs dénoncées par les enseignants, les syndicats d’enseignants et des observateurs indépendants en raison de leur gestion financière opaque et de leurs mécanismes opaques d’attribution et d’exécution de projets.

 

La seconde partie du tableau 1 présente le montant total, par catégories, des « Frais administratifs annuels » du Fonds national de l’éducation. Ces frais administratifs (80 800 000 Gourdes, soit 606 015 $ US) sont extrêmement élevés pour un organisme autonome rattaché à un ministère, celui de l’Éducation nationale. Mais ce qui interpelle avant tout l’observateur, c’est la pléthore du personnel en poste au bureau (7 personnes) et au cabinet (17 personnes) du FNE. Cette pléthore est en lien avec les vieilles et complexes pratiques de favoritisme et de népotisme, deux des visages de la corruption dans l’Administration publique haïtienne. Habituellement le favoritisme et le népotisme servent à « récompenser » ceux que l’on désigne par l’expression des « ayant droit du système » et qui servent de courroie de transmission des opérations de détournement de fonds publics.

 

Le deuxième tableau, « Fonds national de l’éducation / Banque de la République d’Haïti : frais perçus sur les transferts privés internationaux / 2011-2018 », est lui aussi fort instructif. Il atteste d’une part une nette augmentation de juin 2012 à juin 2018 du nombre de transferts, soit 7 431 à 16 062. D’autre part il atteste une nette augmentation de plus du double des frais perçus en milliers de dollars US, de juin 2012 à juin 2018, soit 11 146 à 24 093. Pareille augmentation se traduit par l’ample progression du montant total des frais perçus, qui passent de 11 146 à 115 690. En raison de la forte dégradation de la crise économique de 2018 à 2024, il est loisible de poser que durant cette période le volume de transferts d’argent vers Haïti a considérablement augmenté. Il en est résulté que les frais perçus sur les transferts privés internationaux ont augmenté de manière significative passant, en toute bonne hypothèse indicative, de 24 093 à 48 000. Pareille augmentation est en lien direct avec le poids économique énorme des transferts de la diaspora haïtienne vers Haïti comme l’atteste un document officiel de la Banque de la République d’Haïti daté de novembre 2019 : « Transferts de la diaspora et taux de change réel : le cas d’Haïti ». Ainsi, « (…) les transferts sans contrepartie vers Haïti ont presque décuplé entre 1998 et 2018 alors que leur poids par rapport au PIB est passé de 8,8% à 32,5% sur la même période. Ils sont désormais, de loin, la principale source de devises du pays, soit 3,6 fois la valeur des exportations, 10 fois celle des flux d’aide au développement et 37 fois le montant des investissements directs étrangers ».

 

En amont de la rédaction du présent article, nous avons plusieurs fois procédé à la consultation méthodique du site officiel du Fonds national de l’éducation afin de savoir si une éventuelle et récente mise à jour de la rubrique « Notre action » rassemblait des données pertinentes relatives aux états financiers ainsi qu’à l’audit des états financiers du Fonds national de l’éducation. La rubrique « Notre action » comprend les sous-rubriques suivantes : « Financement de l’éducation », « Infrastructures », « Renforcement de capacités », « Subventions », « Cantine scolaire » et « Carte des interventions ». Lorsque l’usager désireux d’être informé de leur contenu clique sur l’intitulé de chacune de ces sous-rubriques, il obtient à l’écran, pour chacune de ces sous-rubriques, une page vide comprenant uniquement les mentions suivantes : « Notre action », « Latest Posts », et « There are no posts ». L’usager désireux d’être informé du contenu de la rubrique si bien nommée « Information » –qui comprend les sous-rubriques « Infolettre », « Mécanismes de financement », « Appui aux études » et « Financement de projet éducatif »–, lorsqu’il clique sur chacune de ces sous-rubriques il obtient à l’écran une page-écran vide comprenant uniquement la mention… « Transparence ». L’usager désireux d’être informé du contenu de la rubrique « Ressources » –qui comprend les sous-rubriques « Documents », « Rapports et publications » et « Liens utiles »–, lorsqu’il clique sur l’intitulé de chacune de ces sous-rubriques, il obtient une page-écran vide comprenant uniquement la mention « Ressources ». Il n’a donc accès ni aux « Documents » ni aux « Rapports et publications. Ce vide informatif pour de si nombreuses rubriques du site officiel du Fonds national de l’éducation n’est pas fortuit, il correspond à une orientation stratégique majeure, celle de l’invisibilisation des données financières au cœur du dispositif de la corruption systémique du Fonds national de l’éducation.

 

Fonds national de l’éducation et PSUGO : ces deux institutions du secteur de l’éducation sont devenues au fil des ans des « machines expertes » en corruption », en népotisme et en détournements camouflés des finances publiques, en toute impunité, bien à l’abri des divers « boucliers protecteurs » mis en place par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. L’entrevue complaisante et laxiste accordée par le Directeur du Fonds national de l’éducation, Jean Ronald Joseph à l’émission « Panel majik » se situe donc « tout naturellement » dans l’écosystème PHTKiste de la « banalisation de l’oubli » et de la fascination pour les vertus curatives de l’impunité héritées de la dictature de François Duvalier… Les journalistes haïtiens ont payé un lourd tribut à la « banalité du mal » explicitée par la philosophe Hanna Arendt. Ils en sont encore la cible…

 

Dans un document récemment publié par le Comité de protection des journalistes (le CPJ), « Haïti rejoint la liste des pays où les assassins de journalistes ont le plus de chance de demeurer impunis » sous la plume d’Arlene Getz, il est précisé que « Selon l’Indice mondial de l’impunité 2023 du Comité pour la protection des journalistes, Haïti, frappé par la crise, est devenu l’un des pays où les assassins de journalistes ont le plus de chance d’échapper à la justice. Une combinaison dévastatrice de violence des gangs, de pauvreté chronique, d’instabilité politique et d’un système judiciaire dysfonctionnel est à l’origine de la première inclusion de ce pays des Caraïbes sur la liste annuelle du CPJ des pays où les assassins s’en tirent en toute impunité. (…) Haïti se classe désormais au troisième rang mondial des pays où l’impunité est la plus grande, derrière la Syrie et la Somalie. (…) L’indice de cette année recense 261 journalistes assassinés dans le cadre de leur travail entre le 1er septembre 2013 –année où les Nations Unies ont déclaré le 2 novembre Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre des journalistes. On constate qu’au cours de cette période de 10 ans, personne n’a eu à rendre des comptes dans 204 de ces cas, soit plus de 78 %. (Les journalistes tués dans la guerre entre Israël et le Hamas, qui a commencé le 7 octobre, ne sont pas pris en compte ici car leurs décès sont intervenus après la période de 10 ans visée par l’indice.) (…) Au total, le CPJ a recensé les meurtres de 956 journalistes en lien avec leur travail depuis qu’il a commencé à les recenser en 1992. Au total, 757 d’entre eux, soit plus de 79 %, n’ont fait l’objet d’aucune poursuite ».

Dans le même document, à la section « Pays figurant sur l’Indice mondial de l’impunité 2023 du CPJ », il est précisé ceci :

« (3) Haïti
« L’entrée d’Haïti dans l’indice fait suite aux meurtres non élucidés de six journalistes depuis 2019. Cinq ont été tués en 2022 et 2023, parmi les centaines d’Haïtiens tués par les gangs criminels qui ont pris le contrôle d‘une grande partie de Haïti, alors que le pays est en proie à une crise économique aggravée par une série de catastrophes naturelles et au vide politique laissé par l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021. Des journalistes haïtiens ont également été kidnappés et forcés de fuir leur domicile, de peur que leur travail ne les expose à un plus grand risque que les autres civils ».

 

Tel que mentionné plus haut dans le déroulé du présent article, l’entrevue complaisante et laxiste accordée par le Directeur du Fonds national de l’éducation, Jean Ronald Joseph, à la radio Magik9 se situe donc « tout naturellement » dans l’écosystème PHTKiste de la « banalisation de l’oubli » et de la fascination pour les vertus curatives de l’impunité héritées de la dictature de François Duvalier… Comparable à une micromilice de tontons-macoutes en col blanc, le Parti haïtien tèt kale (PHTK) a occupé les allées du pouvoir les douze dernières années en Haïti. Mis sur pied par les caïds d’une nébuleuse autoproclamée de « bandits légaux », le PHTK fonctionne sur le mode du gangstérisme politique dont se sont publiquement réclamés ses chefs de file, notamment Michel Martelly et Laurent Lamothe auxquels s’est tôt associé l’économiste Nesmy Manigat. Véritable cartel politico-mafieux, le PHTK se caractérise principalement par la criminalisation du pouvoir d’État adossé au démantèlement des institutions de l’État. Au PHTK, la criminalisation du pouvoir d’État s’exerce dans la continuité de la fabrique du consentement politique dont le rôle central est l’« invisibilisation » de la corruption » afin qu’elle soit, par la captation de la « rente financière d’État » et diverses formes de rapine, efficiente et rentable à tous les étages de l’édifice social. Les mécanismes d’« invisibilisation » de la corruption » font appel à plusieurs « ressources logistiques », entre autres la « notoriété » de certains universitaires idéologiquement apparentés ou placés sous contrat « pour services rendus ». Promouvoir l’image d’une Haïti où règnerait l’État de droit et servir de caution intellectuelle à l’« invisibilisation » de la corruption » sont les deux principales missions dévolues à plusieurs universitaires haïtiens, entre autres à l’historien Weibert Arthus, ex-ambassadeur d’Haïti au Canada, et au sociologue Fritz Dorvillier, ex-consul général d’Haïti à Montréal et auparavant laudateur grassement rémunéré chargé de promouvoir, dans les médias haïtiens, les « miracles » accomplis par Nesmy Manigat dans le système éducatif national. Fritz Dorvillier a été « démissionné » de son poste de consul, en 2022, à l’instigation du gouvernement fédéral du Canada, dans une obscure affaire d’achat de blindés qui n’auraient pas été livrés à la Police nationale d’Haïti. La bavardeuse opération de propagande politique conduite par la « missionnaire » du PHTK Dominique Dupuy dans la saga de la « soup joumou » frauduleusement étiquetée « soupe de l’Indépendance » et « soupe de l’identité nationale haïtienne » participe de la même mission idéologico-politique d’« invisibilisation » de la corruption » en Haïti.

 

Le journalisme, l’éthique et la déontologie : un passage obligé

 

L’entrevue de Jean Ronald Joseph, Directeur du Fonds national de l’éducation, à l’émission « Panèl majik » de Magik9 le 18 décembre 2024, interpelle divers interlocuteurs institutionnels haïtiens du secteur de la presse. Ces interlocuteurs institutionnels sont regroupés dans des structures patronales et dans les structures des travailleurs de la presse. En voici un relevé indicatif :

 

Association des journalistes haïtiens (AJH) /travailleurs de la presse/

Association haïtienne de la presse sportive /travailleurs de la presse/

Association des médias indépendants d’Haïti (AMIH) /structure patronale/

Association nationale des médias haïtiens (ANMH) //structure patronale/

Fédération haïtienne de la presse /structure patronale/

 

Il est de la plus haute importance que ces instances patronales et celles des travailleurs de la presse :

 

  1. Mènent une enquête indépendante sur l’entrevue accordée par Jean Ronald Joseph, Directeur du Fonds national de l’éducation, à l’émission « Panèl majik » de Magik9 le 18 décembre 2024,

 

  1. Déterminent, par l’analyse exhaustive de l’enregistrement de l’entrevue, la véritable nature de cette entrevue :

 

  1. Était-ce une entrevue conduite par un journaliste ayant préparé ses dossiers et ayant, de ce fait, dirigé l’entrevue dans le but d’informer objectivement les auditeurs de l’émission « Panèl majik » ?

 

  1. Était-ce une entrevue dont la caractéristique essentielle était de la publicité déguisée au cours de laquelle Jean Ronald Joseph, Directeur du Fonds national de l’éducation, n’a apporté aucun éclairage informatif assorti de documents consultables attestant les « réalisations » de son institution ?

 

  1. L’entrevue accordée par Jean Ronald Joseph à l’émission «Panèl majik » a-t-elle fait l’objet d’un « contrat verbal » et/ou d’un contrat écrit selon lequel la station radio Magik9 aurait été payée pour l’exécution de la prestation du Directeur du Fonds national de l’éducation ?

 

Il est de la plus haute importance que les instances patronales et celles des travailleurs de la presse en Haïti se saisissent de la fort instructive entrevue accordée par Jean Ronald Joseph à l’émission « Panèl majik » pour aborder sereinement et de manière analytique/critique l’incontournable question de l’éthique et de la déontologie dans l’exercice de la profession de journaliste au pays.

 

Aussi nous interpellons publiquement les instances patronales et celles des travailleurs de la presse en Haïti afin qu’elles instituent, dans les meilleurs délais, une réflexion de fond sur l’éthique et la déontologie dans l’exercice de la profession de journaliste au pays. Nous les invitons à entamer ce processus analytique dans le droit fil du « Préambule » de la Constitution haïtienne de 1987 et en lien avec les articles de notre Charte fondamentale qui garantissent les droits citoyens à la liberté d’expression (voir le « Titre III : Du citoyenDes droits et devoirs fondamentaux » ; Chapitre II : Des droits fondamentaux ; Section C : De la liberté d’expression. Pareille réflexion analytique prendra en compte tout document officiel adopté par les différentes instances administratives et éditoriales de la presse haïtienne et qui consignent les balises d’un encadrement réglementaire de la profession de journaliste en Haïti.

 

Nous interpellons publiquement les instances suivantes de la presse haïtienne :

 

1—l’Association des journalistes haïtiens (AJH) /travailleurs de la presse/

2—l’Association haïtienne de la presse sportive /travailleurs de la presse/

3–l’Association des médias indépendants d’Haïti (AMIH) /structure patronale/

4—l’Association nationale des médias haïtiens (ANMH) //structure patronale/

5—la Fédération haïtienne de la presse /structure patronale/

 

Notre interpellation intervient dans le contexte actuel où la protection du droit à l’information est lourdement assautée par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, par le secteur mafieux de la bourgeoisie compradore haïtienne, par les « bases colombiennes » constituées de trafiquants du commerce de drogue en direction des États-Unis et par divers secteurs spécialisés dans l’importation des armes de tous calibres en provenance des États-Unis. L’on observe que ces armes, aux mains des gangs violents, sont utilisées dans la guerre que mènent actuellement les gangs criminalisés contre la population haïtienne : les membres des communautés de quartier abandonnent régulièrement leurs espaces de vie et deviennent des « déplacés de l’intérieur ». Dans un contexte aussi mortifère, le combat pour la protection du droit à l’information a récemment été porté sur la scène nationale et internationale dans les termes suivants avec un exemplaire courage, comme en témoigne le document intitulé « Haïti : l’appel de RSF et de plus de 90 journalistes haïtiens à la communauté internationale pour la protection du droit à l’information ». L’on y lit ceci : « L’appel lancé à la communauté internationale et au Conseil présidentiel de transition le 12 avril dernier est signé par plus de 90 journalistes haïtiens. La majorité des signataires sont basés à Port-au-Prince ou dans les villes alentour. Ils sont rattachés à certaines rédactions nationales, comme Le NouvellisteHaïti24 et AlterPresse, d’autres sont indépendants. Ils travaillent pour la presse écrite, en ligne, la télévision, la radio. Nombre d’entre eux sont membres de l’Association des journalistes haïtiens (AJH). Ensemble, et avec Reporters sans frontières, ils tirent la sonnette d’alarme ».

 

(…) Reporters sans frontières et plus de 90 professionnels de l’information haïtiens lancent un appel international pour la protection du journalisme en Haïti, pris en étau entre une vague de violence d’ampleur et une crise sociale, économique et politique qui s’est intensifiée depuis décembre 2023. Cette crise impacte directement les journalistes : six professionnels de l’information ont été tués depuis 2022 en raison de leur activité professionnelle. Les reporters sont également régulièrement victimes de menaces, d’attaques et d’enlèvements. Ces violences accrues sont commises en toute impunité, en l’absence d’un état de droit dans le pays. Et à mesure que le contrôle des gangs s’étend sur la capitale, Port-au-Prince, les journalistes se retrouvent confinés à quelques quartiers où ils peuvent encore exercer leur activité, non sans risque. Nombre d’entre eux ont dû se résigner à l’exil. (…) Il est difficile d’imaginer un contexte plus complexe pour l’exercice du journalisme que celui que nous connaissons aujourd’hui en Haïti. Aux défis historiques auxquels la presse est confrontée dans le pays, s’ajoute l’impact d’une insécurité qui a atteint un niveau sans précédent ces derniers mois, avec des journalistes attaqués, kidnappés, empêchés de se déplacer en raison des actions des gangs, et se trouvant dans une situation de précarité économique généralisée. L’écosystème de l’information en Haïti est en danger dans son ensemble, alors même que l’information est une ressource plus essentielle que jamais pour rendre compte au monde de ce qui se passe dans le pays. Le journalisme doit occuper une place centrale dans les discussions sur la sortie de crise et figurer dans l’agenda de la coopération internationale ».

* Robert Berrouët-Oriol
   Linguiste-terminologue

Écrit par Robert Berrouët-Oriol

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