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Haïti : le remboursement immédiat de la dette illégitime une obligation d’État

today21 avril 2025 34

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Haïti : le remboursement immédiat de la dette illégitime une obligation d’État

Construire maintenant la solidarité entre les deux peuples

par Christian Fauliau

Cet article ne vise pas à proposer des solutions à la terrible crise sociopolitique actuelle. Il vise à esquisser une stratégie gagnant gagnant, pour le peuple haïtien et pour l’Etat français, pour solder une fois pour toute le problème du remboursement de la dette illégitime imposée par la France à l’État Haïtien il y a deux siècles.

La source du problème

Faisant suite à la colonisation espagnole commencée en 1492, la colonisation française d’Haïti a débuté vers 1625. Comme chacun le sait, elle s’est construite sur une industrialisation massive de la traite des noirs africains réduits en esclavage sur le sol haïtien par des colons motivés par le seul accroissement de leurs profits. Les es- claves n’ont jamais accepté leur immonde condition de vie infra humaine. Après de multiples rebellions, pendant plusieurs siècles, leur révolte généralisée a vaincu les armées napoléoniennes et acquis par les armes l’indépendance du peuple haïtien en 1804. Ce fut non seulement la première grande révolte victorieuse d’un peuple d’es- claves, mais une révolution majeure pour toute l’histoire de l’humanité puisqu’elle proclamait l’égalité de tous les êtres humains (tout moun se moun). L’inimaginable, au sens premier du terme, s’était produit. Un peuple d’esclaves se libérait de ses maîtres, qui plus est, un peuple noir dont l’infériorité avait été théorisée, en jetant les bases d’un racisme institutionnel pour rendre acceptable un processus d’économie capitaliste le plus inégalitaire au monde.

Une indépendance inacceptable pour les français, les espagnols, les anglais et les américains, les maîtres du monde de l’époque. Reprendre l’ile aux haïtiens héroïques qui venaient de battre l’armée de Napoléon paraissait très risqué, mais il fallait à tout prix soumettre ce peuple de ré- voltés et éviter qu’il ne propage ses idées de liberté et surtout d’égalité de tous les êtres humains. Dans un premier temps un blocus total fut installé pour étouffer éco- nomiquement la nation en gestation. Blocus dramatique pour le nouveau pouvoir haïtien qui devait vendre ses productions, mais tout aussi dommageable pour les étrangers qui rêvaient de s’enrichir à nouveau par le commerce des productions re- cherchées de cette ile. La reconnaissance de l’indépendance de l’île devenait une nécessité pour tous mais pour les vaincus, les français, les anciens maîtres déchus, cela ne pouvait se passer sans compensation. Compensation lourde qui devait servir de le- çon au reste du monde. Les détails de cette histoire sont parfaitement décrits dans le livre « Haïti-France les chaînes de la dette ; le rapport Mackau 1825. » (Haiti-France. Les chaînes de la dette. Le rapport Mackau 1825, par Marcel Dorigny, Jean Marie Théodat, Gusti-Klara Gaillard et Jean Claude Bruffaerts. Préface de Thomas Piketty. Introduction de Fritz Alphonse Jean. Éditions maisonneuve et Larose /hémisphères éditions)

Pourquoi rembourser ?

Ce fut tout simplement un vol sous la menace armée dont la victime fut l’Etat haïtien et à travers lui le peuple haïtien, la somme est connue, elle est notifiée dans un document officiel, le rapport Mackau, rapport de mission pour l’Etat français en 1825: 120 millions de francs or de l’époque ensuite ramenés à 90, auxquels il faudrait ajouter les intérêts bancaires, soit environ 30 milliards d’euros actuels, et enfin le coupable est identifié de manière incontestable: ce fut l’Etat français. Cela se résume de manière incontestable en une formule: une prédation, un prédateur et une victime. Mille arguties ont été développées durant les deux derniers siècles pour justifier cette dette, toutes fondées sur le fait qu’il fallait indemniser les planteurs français, les colons qui avaient perdus leurs biens. Leurs biens? Il s’agit de ce que les planteurs appelaient « leurs terres, leurs investissements, leurs pertes de profits». Leurs terres? Elles avaient été volées aux indiens, aux indigènes que l’on avait assassinés, ou rachetées à des occupants qui les avaient volées. Leurs investissements? Essentielle- ment dans l’achat d’êtres humains transformés en esclaves, dont le travail n’était pas rémunéré. Pendant des siècles le travail de ces esclaves a permis d’en acheter d’autres, de constituer un horrible capital humain, de construire ou acquérir tous les bâtiments et équipements des plantations, de bâtir des fortunes transférées en France. Il fallait avoir la puissance armée, politique et commerciale de l’Etat français de l’époque pour transformer une spoliation d’êtres humains aussi massive, pendant deux siècles, en une dette. Ce fut bien un vol sous la menace.

Le cas haïtien est unique, c’est d’ailleurs le seul cas dans l’histoire de l’humanité ou les vaincus, les français, imposent une charge financière aux vainqueurs pour prix de leur indépendance gagnée par les armes.

De plus, on ne peut ignorer le terrible impact de cette charge financière sur le développement de la nouvelle nation. Pratiquement un tiers des ressources nationales y furent consacrées pendant un siècle éliminant toute possibilité de développer l’éducation, les services publics et toutes les infrastructures de base. Un peuple maintenu dans la pauvreté et la misère pendant plus d’un siècle, du fait du remboursement de cette dette.

On peut épiloguer sur la qualité des élites politiques haïtiennes, comme dans tout autre pays d’ailleurs, mais prises dans ce carcan financier il n’y avait au- cune chance qu’elles puissent faire évoluer positivement le pays. La dette a été, sans aucune contestation possible, une des causes fondamentales du sous développement du pays. On peut rappeler que un siècle et demi plus tard, la dette apurée, sous la Présidence de Dumarsais Estimé puis de Magloire, dans les années 1950, Haïti était considéré comme un exemple dans la Caraïbe, le pays économiquement le mieux géré.

La responsabilité de l’Etat français pour plus d’un siècle de mal développement d’Haïti ne peu être niée. Il y a donc bien une obligation d’Etat à rétrocéder le montant de cette dette illégitime. Jusqu’à ce jour, c’est l’Etat français qui a une dette d’environ 30 milliards d’euros envers le peuple haïtien.

Comment rembourser ?

La réaction immédiate, y compris de celles et ceux qui acceptent le principe du remboursement, est de dire oui mais pas maintenant, le pays est dans une telle crise sociale et politique depuis des années qu’il faut attendre qu’il ait un gouvernement légitime et rigoureux dans sa gestion, pour solder ce passif. Pour le moment nombreux sont encore ceux qui pourraient se satisfaire d’une déclaration de « reconnaissance de la dette et d’une intention de remboursement de la part de la République française ». Ou encore ceux qui proposent de mettre en place une commission pour apporter une caution de recherche historique, pour préparer d’hypothétiques mesures de réparation dans un temps indéterminé, un peu comme ce qui est en cours pour améliorer les relations franco algériennes. Mais le cas Haïtien est unique il a peu à voir avec le cas de l’Algérie. Les multiples colloques passés ou en cours, tout comme les travaux de nombreux historiens sont déjà parvenus à la même conclusion incontournable confirmée par le contenu officiel du rapport Mackau, ce fut une dette illégitime. Il n’y plus rien d’autre à prouver, il reste seulement à rapidement travailler sur le modalités d’une obligation pour l’Etat français : rembourser la dette.

Face à la situation absolument dramatique dans laquelle se trouve aujourd’hui la très grande majorité de la population haïtienne, comment ne pas se souvenir que lors du paiement de la dette par Haïti ce sont les populations à la base qui en ont le plus souffert. Il parait donc logique que le remboursement se fasse directement au profit de ces populations à la base. Un appui du peuple français au peuple haïtien, une solidarité de peuple à peuple aujourd’hui, maintenant, en 2025. Pour information la terrible crise actuelle touche essentiellement la capitale et l’Artibonite, deux dépar- tements sur dix, pendant que huit sur dix, continuent leurs activités pratiquement sans appui de l’Etat central. C’est justement pour pallier toute défaillance actuelle ou à venir d’un Etat central que nous proposons une organisation institutionnelle totale- ment décentralisée et transparente. Il est important de rappeler que cette proposition s’inscrit dans la volonté de décentralisation de la constitution de 1987 massivement approuvée par le peuple haïtien. Décentralisation effective qui au vu des événements actuels tout comme de l’évolution historique du pays, apparaît comme la seule solu- tion porteuse d’une mobilisation de toutes les forces vives du pays au service d’une réelle souveraineté inclusive de la nation haïtienne.

Le peuple haïtien dans sa constance à lutter pour son émancipation nous fixe lui même un objectif majeur: le renforcement durable de l’éducation. Le peuple haï- tien, même quand il est pris dans une multitude d’urgences, ce qui est maintenant le cas, a toujours une demande prioritaire, l’éducation des enfants, souvent même aux dépens de la satisfaction de ses propres besoins vitaux. Aussi surprenant que cela puisse paraître ce fut, et cela reste toujours, sa première priorité même après le terrible tremblement de terre de 2010. C’est une des plus précieuses et exceptionnelles forces culturelles de la nation haïtienne. Alors pourquoi ne pas répondre à la demande du peuple et s’engager à soutenir pendant 20 ans, à raison de 1,5 milliard d’euros par an, le renforcement du système d’enseignement primaire, de formation professionnelle et d’alphabétisation. Un objectif aussi précis que fondamental. L’engagement pouvant être garanti par une loi de programmation de finances publiques votée par l’Assemblée Nationale française. Une garantie d’éducation et formation fondamentale pour le peuple quel que soit le régime politique.

Il parait logique, qu’après avoir bloqué la construction des bases de la jeune République pendant des décennies par sa prédation financière, que l’Etat français facilite la construction, la rationalisation du système d’enseignement primaire et professionnel pour consolider la construction actuelle de la nation haïtienne. Par appui à cet enseignement fondamental, il faut entendre la mise en oeuvre efficace des structures de l’école primaire dans chacune des sections communales et des quartiers des villes. Il ne s’agit pas seulement de bâtiments scolaires pour maitriser l’écriture, la lecture et le calcul mais de structures d’apprentissage qui intègrent la satisfaction de ces besoins fondamentaux dans la dynamique de développement local incluant aussi la formation citoyenne et culturelle. Les radios rurales vecteurs potentiellement très efficace dans la formation continue des populations peuvent aussi être envisagées dans un tel programme. Au fil des années, quand les besoins fondamentaux dans chacune des sections communales et des quartiers seraient couverts, l’appui pourrait s’étendre au niveau secondaire voire universitaire, mais seulement quand l’objectif d’accès de tous à l’éducation fondamentale aurait été totalement couvert. Ce serait une juste compensation et la réponse à une demande du peuple dans son ensemble. Le peuple français, les représentants politiques quels que soient les partis devraient être sensibles à cette perspective et même dans les conditions budgétaires difficiles actuelles considérer que cet effort de solidarité est justifié, essentiel pour l’appui à la construction d’une société démocratique et souveraine en Haïti. Pour mémoire la France à déjà su s’investir fortement dans l’appui à l’éducation en Haïti, avec entre autre son accompagnement de « la réforme Bernard » des années 80, la réalisation de l’Institut Pédagogique National, l’appui à l’alphabétisation en créole etc. Ce qui a manqué et qui est proposé ici c’est un engagement sur le long terme et des opérations dynamisées d’abord par les populations des sections communales, communes et dé- partements, c’est-à-dire avec une décentralisation effective.

Il ne s’agit pas de construire un système d’ingérence, de néocolonisation en passant par l’éducation. Nous proposons une réponse institutionnelle pour se préserver à la fois d’un tel danger et du danger de détournement par un Etat national possiblement défaillant à certaines périodes. La réponse est simple, elle se fonde sur trois principes de gestion: décentralisée, collégiale et transparente. La mise en place au ni- veau de chacun des départements d’un fonds de réception du remboursement géré par un comité constitué de quatre collèges avec des représentants : i) de l’administration publique de l’éducation nationale et de l’enseignement professionnel, ii) de la société civile et de parents, iii) d’élus communaux et des sections communales, iv) du secteur privé et des organisations professionnelles. Chacun ayant le même niveau de pouvoir, 25%, aucun n’ayant la majorité, ce qui assure une obligation d’échanges équilibrés pour parvenir à des décisions inclusives.

Pour éviter la corruption, LA GESTION DE L’ARGENT PUBLIC DOIT ÊTRE PUBLIQUE

Toute la gestion financière de chacun des fonds départementaux, sans aucune exception, serait placée sur un site internet public ouvert à toutes et tous pour consultation. Les outils informatiques actuels le permettent sans aucun problème.

La décision de l’utilisation de l’argent n’appartient ni au financeur, la France, ni au gouvernement central haïtien quel qu’il soit, elle appartient au niveau de chacun des départements, au comité collégial haïtien de gestion du Fonds.

Pour superviser, suivre l’efficacité du dispositif, côté haïtien un comité national de suivi de l’exécution du programme pourrait être constitué avec une dizaine de membres reconnus pour leur engagement sans faille dans la lutte pour la promotion de l’éducation, de la culture haïtienne et leur notoriété dans le pays comme par exemple: Mme Yanick Lahens, Mme Gusty-Klara Gaillard, Mr. Lionel Trouillot, Mr. Marvel Dandin, Mr. Michel Soukar, Mme Pierre Louis (Fokal), un responsable du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle etc. En cas de départ de l’un de ses membres il se renouvellerait par cooptation pour garantir son orientation fondamentale. Ce comité réunirait chaque année les coordonnateurs gestionnaires de chacun des fonds départementaux pour mutualiser les résultats des travaux, faciliter les synergies et le règlement de potentiels litiges, sans empiéter sur leur autonomie départementale.

Côté français, en dehors du suivi financier institutionnel légal assuré par la Cour des Comptes sur les dépenses de l’Etat, un comité de suivi de l’exécution du programme composé d’une dizaine de personnes bénévoles et engagées dans la lutte pour l’égalité et la solidarité des peuples serait en charge de produire un rapport an- nuel de suivi diffusé publiquement. Les membres de ce comité pourraient par exemple être : Mme Taubira, Mr. Jean-Marc Ayrault, Mr. Jean Marie Théodat, Mr. Thomas Piketty, La ligue des droits de l’homme etc. En cas de départ de l’un de ses membres il se renouvellerait aussi par cooptation. Je précise qu’aucune de ces personnalités haïtiennes comme françaises n’a été contactée pour donner son accord, ces noms sont ici proposés uniquement comme référence potentielle du fait de leur notoriété très largement reconnue. Ce type de dispositif institutionnel garantirait à la fois, une totale transparence, la pleine responsabilité des acteurs de terrain nationaux, un suivi rigoureux, une information générale pour les deux peuples, le meilleur instrument d’une solidarité en construction.

Il ne peut être exclu qu’après une expérimentation positive, ces fonds départementaux puissent se transformer en basket fund pour l’éducation susceptibles d’être abondés par de multiples partenaires. Dans ce cas un guichet spécifique devrait continuer à être réservé pour le traitement du remboursement de la dette.

En conclusion rien ne s’oppose à ce que cette dette illégitime soit remboursée maintenant par le peuple français au peuple haïtien, que la préparation du budget français pour 2026 inclue une loi d’orientation dans ce sens. La détresse actuelle du peuple haïtien le justifie sans attendre. La proposition institutionnelle que nous faisons ici, met à l’abri des aléas politiques et des risques de détournement des fonds. La Présidence de la République, les députés et sénateur actuels et le peuple français ont l’opportunité de marquer positivement l’histoire en facilitant l’accès à l’enseignement primaire et à la formation professionnelle de la jeunesse haïtienne pour consolider les bases d’une réelle indépendance pour Haïti. Nous ne sommes pas responsables du passé mais nous avons aujourd’hui la responsabilité d’en reconnaître les erreurs voire les horreurs et de nous assurer qu’elles ne se reproduisent jamais et dans la mesure du possible d’en réparer les conséquences néfastes.

Christian Fauliau, senior économiste et institutionnaliste, le 10 avril 2025

 

Écrit par Haïti Inter

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