Arts visuels

Zombis : exploration d’un phénomène mystique au musée du Quai Branly

today16 octobre 2024 398 19 3

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Par Guy Ferolus

L’exposition « Zombis, la mort n’est pas une fin » au musée du Quai Branly à Paris nous plonge au cœur d’un mystère fascinant : celui de la zombification. En compagnie d’Erol Josué, houngan, chanteur et commissaire associé de l’exposition, nous avons découvert les multiples facettes de ce phénomène à travers une immersion à la croisée des mondes mystiques et sociaux.

Erol Josué nous a guidés à travers les mythes et réalités de la zombification, une pratique magico-religieuse souvent associée au vodou haïtien, bien qu’il précise que cette pratique n’en soit pas un élément central. Selon lui, la zombification ne relève pas uniquement du vodou mais d’un savoir ancien que n’importe qui, et pas seulement les bòkor, peut maîtriser.

Reconstitution du temple vodou d’E. Josué

Mais alors, comment devient-on un zombi ? Josué nous explique que dans la paysannerie haïtienne, la zombification est utilisée comme une forme de punition sociale. Elle frappe ceux qui ont commis des méfaits graves tels que le meurtre, le viol, le vol de terres ou d’autres actes nuisibles à la communauté. Ceux qui sont jugés coupables sont drogués, enterrés vivants dans un état de mort apparente, puis exhumés pour être transformés en zombis, réduits à l’état d’esclaves sous l’emprise d’un bòkor, un sorcier capable de manipuler les forces occultes et surtout les poisons d’origine animale et végétale.

Cette réduction à l’état d’esclavage, selon Josué, est perçue comme l’une des pires formes de punition dans la société haïtienne. Cela rappelle la souffrance historique liée à l’esclavage, dont la zombification est, en quelque sorte, une réminiscence.

Erol Josué répondant aux questions de Tcheïta

L’exposition nous entraîne dans un décor saisissant, où des espaces emblématiques du vodou sont recréés avec soin. Parmi eux, un temple vodou et un cimetière reconstitués, offrant une vision immersive du contexte rituel haïtien. Le temple est une réplique du temple d’Erol Josué lui-même, vandalisé par des gangs dans le quartier de Martissant en Haïti, un territoire aujourd’hui sous contrôle de groupes armés.

L’un des moments forts de l’exposition est la mise en scène d’une « chambre du jugement ». Dans cette pièce sombre, éclairée uniquement par des bougies, une armée de guerriers bizango, sous forme de poupées fétiches, attend silencieusement. Ces guerriers mystiques jouent un rôle crucial dans le jugement des condamnés. C’est dans cette chambre que les bòkors se réunissent pour décider du sort de celui qui doit être zombifié. Après ce jugement rituel, le condamné est drogué et plongé dans un état de mort apparente avant de renaître en tant que zombi.

L’exposition ne s’arrête pas à l’aspect traditionnel et mystique de la zombification. Elle présente également des figures de « zombis psychiatriques », des individus souffrant de troubles mentaux qui peuvent être perçus à tort comme des zombis. Il existe aussi des « zombis sociaux », des personnes marginalisées ou exploitées par la société, une dimension plus contemporaine et symbolique du phénomène.

Une collection impressionnante de maléfices, appelés « Ouangas », est aussi exposée, témoignant de la complexité et de la diversité des pratiques magiques entourant la zombification et le vodou.

L’armée des Bizango

L’exposition aborde également l’évolution de la figure du zombi, désormais ancrée dans la culture populaire mondiale. Erol Josué se méfie de cette appropriation par les industries culturelles, notamment à travers les films hollywoodiens et les romans à succès. Pour lui, cette diffusion commerciale tend à caricaturer le phénomène, alimentant des stéréotypes sur le vodou et stigmatisant ses pratiquants.

Au-delà du folklore, le zombi, tel que présenté dans l’exposition, est un pont entre le monde des vivants et celui des morts. Il incarne à la fois une peur ancestrale et une critique sociale, tout en ayant imprégné l’imaginaire collectif et le cinéma fantastique.

« Zombis, la mort n’est pas une fin » nous invite à réfléchir sur un phénomène complexe qui échappe à une simple explication. La zombification, avec ses racines historiques et sociales, va bien au-delà des récits populaires. À travers cette exposition, Erol Josué nous aide à comprendre la profondeur d’une pratique souvent méconnue, tout en dénonçant les dérives culturelles qui en ont fait un simple objet de divertissement.

Cette immersion au musée du Quai Branly éclaire une facette essentielle de la culture haïtienne tout en nous rappelant que la figure du zombi est, à la fois, un héritage et un avertissement : celui des dangers de la déshumanisation et de la réécriture simpliste des traditions ancestrales.

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La vidéo de la visite :

Écrit par Guy Ferolus

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